Leçon de courage

Publié le par Mahaut

Les ouvrages sur le Liban décrivent très souvent l'existence de deux réalités juxtaposées et hermétiques : celles du luxe tapageur et de la misère crasse. Cela m'a d'abord semblé une banalité massive de l'ordre de la vérité générale, et une schématisation un peu grossière (quid de la classe moyenne, très représentée, dans toute sa diversité et ses degrés ?). Je ne peux encore me prononcer sur la partie "or, marbre, et rajoutez-moi donc un peu de porphyre là, dans ce coin", mais me prends quotidiennement la partie "toit en taule que le propriétaire défait quand le loyer n'a pas été payé, cour qui pue la pisse et enfants déscolarisés par manque de moyens" sur le coin du confort mental. Et désormais, si , fort heureusement, des sociétés caritatives efficaces et généreuses existent, il m'apparaît de plus en plus, au fil des témoignages, que le "haut du panier" parvient à en occulter le bas avec une auto-hypnose d'autant plus impressionante que les quartiers miséreux (l'euphémisme "défavorisé" serait d'une fausse bienséance terriblement déplacée quand on parle de murs de béton nu, d'absence totale de porte et de famille vivant à 6 dans une pièce) sont tout sauf périphériques.

Il n'est pas question ici de se complaire dans la déscription des taudis sordides mais de prendre exemple sur le courage, la dignité et la générosité de leurs habitants.
Ces deux derniers points sont d'ailleurs liés : accueillir décemment un visiteur, c'est lui témoigner de l'estime mais aussi maintenir son rang et "la face". Exemple : un famille manquant d'eau potable pour ses propres besoins qui reçoit 4 visiteurs en leur offrant, à chacun une petite bouteille d'eau minérale fraîche (c'est à dire très précisément ce qui leur faisait défaut).
A propos de courage et de ténacité, je suis la première à trouver ineptes les comparaisons de conditions de vies.
Oui, il y a dans le monde des génies dans des bidonvilles qui parviennent à poursuivre leurs études en travaillant sur un coin de natte entre 9 frères et soeurs, 5 poules et une grand mère tuberculeuse. Il y a aussi des personnes qui ont déjà vu tous les pays du monde à seulement 16 ans, parlent 7 langues grâce à leurs précepteurs et jouent de 5 instruments de musique, le tout avec équitation le samedi matin, karaté le samedi après midi, gymnastique et natation en semaine. Est-ce que savoir qu'il y a pire et mieux nous aide en quoi que ce soit face aux souffrances non moins réelles qui peuvent traverser une vie de "Français moyen" ? Absolument pas.
Par contre, peut-être que savoir à quel point notre pays, sa langue, sa culture continuent d'être aimés et étudiés même dans les pires conditions peut nous aider, en tant que Français, à davantage connaître, aimer et revendiquer notre propre héritage, et s'en montrer de dignes ambassadeurs non seulement à l'étranger mais aussi sur notre sol.

J'ai pu croiser la route d'enfants et parfois de familles entières de classe très populaire, celle qui vit dans les conditions citées en introduction, où au minimum 4, souvent 8 personnes dépendent d'un salaire de mécanicien ou de peintre en bâtiments. Des enfants, et/ou leurs parents, donc, qui parlent français, et ont à coeur de l'étudier, même quand l'école ne propose pas cet enseignement. Des parents qui sont allés une fois en France, ou connaissent quelqu'un qui y vit et en parlent avec émotion. Des enfants qui, à 10 ans, s'expriment bien mieux, dans des phrases complexes et parfaitement construites, que la plupart des élèves de CM2 de notre pays, qui, à 13 ans, lisent des romans ardus en ayant poursuivi leurs études de français par eux-mêmes. Des personnes qui, bien plus que les Français, gardent en leur coeur une "certaine idée de la France".

Charbel, le bijoutier-antiquaire de notre quartier, qui n'est jamais allé en France mais parle un français parfait et naturel, nous disait hier que l'Orient (Proche et Moyen) est trop sentimental, et se déchire de penser avec son coeur plus qu'avec sa tête. Or ces peuples "sentimentaux" (pour reprendre cette qualification que je me serais bien gardée de leur appliquer de l'extérieur) aiment notre pays, et c'est dans les yeux de ceux qui nous aiment que l'on puise la force d'être ce qu'ils voient de nous.
Que cela nous inspire la fierté et la courage de correspondre à cette belle image, de représenter avec force et dignité une civilisation dont l'éclat pousse tant de personnes à se dépasser, à surmonter les plus grandes difficultés pour en goûter les fruits.

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